Par Patrick Duval
Raffinement, délicatesse, subtilité… tels sont les mots qui viennent immédiatement à l’esprit lorsqu’on évoque le thé japonais.
Venu de Chine en même temps que le boud-dhisme, le thé n’a vraiment conquis les Japonais qu’au XVIe siècle, lorsque le Maître Sen no Rikyû (1522-1591) pose les bases du « chado », la voie du thé. Une cérémonie très codifiée se développe alors dans la noblesse, basée sur l’esthétique du wabi sabi qui marque, aujourd’hui encore, le bon goût japonais dans à peu près tous les domaines. Comme le rappelle Chihiro Masui, le wabi représente le « raffinement simple », sobriété, humilité mais aussi imperfection et asymétrie. C’est aussi l’acceptation du vide qui permet d’atteindre le satori. Le sabi incarne quant à lui le côté matériel de la vie, l’usure et la détérioration des choses… Pas facile de faire entrer tout ça dans une petite tasse !
Ce rapport quasi religieux qu’entretiennent les Japonais avec le thé en fait une boisson à part, vaguement sacrée, qu’il faut en quelque sorte mériter ! C’est d’ailleurs autour du thé qu’est née la haute gastronomie japonaise puisque la cuisine kaiseki n’était, à l’origine, destinée qu’à compenser l’amertume du thé.
Comme toujours lorsqu’elle s’empare d’un sujet, Chihiro Masui parle à la première personne. Par chance, sa grand-mère était professeur de thé et c’est en souvenir d’elle que celle qu’on connaît plutôt pour ses ouvrages sur les grands chefs a accepté d’écrire ce livre à la demande de son amie Maki Maruyama, directrice de la Maison Jugetsudo.
Nous lui laissons la parole pour nous présenter les principaux thés japonais :
Le matcha
C’est par excellence le thé utilisé pour la cérémonie du thé. On parle d’usucha (thé léger) lorsqu’il est dosé à 2g de poudre pour 70ml d’eau et de koicha (thé épais) lorsque cette proportion passe à 3, 75g. On utilise toujours un chasen, sorte de fouet en bambou, pour faire « mousser » le thé.
Le gyokuro
C’est un thé qu’on abrite de la lumière pendant les semaines qui précèdent la récolte ce qui développe son umami. Il doit être infusé à basse température (pas plus de 60°). Certains gyokuro atteignent des prix astronomiques…
Le sencha
C’est le thé vert le plus fréquent au Japon, servi gracieusement dans tous les restaurants du pays. Il faut savoir que plus la température de l’eau est élevée, plus le thé est fort et amer. Haru, Tsuki, Asa… La maison Jugetsudo propose de nombreuses variétés de sencha.
Le shincha est le thé qui vient d’être cueilli.
Le hojicha
C’est un thé qui a été torréfié. Typiquement servi à la fin du repas pour « laver le palais ». Son parfum est délicatement fumé et ses saveurs très fraîches.
Le genmaicha
Mélange de thé vert et de riz complet soufflé, le genmaicha est pauvre en théine et en tanins. Il contient parfois du macha. Il est très désaltérant. ■
Thé japonais, La maison de thés Jugetsudo, par Chihiro Masui, Photos de Richard Haughton. 240p. 29, 90 €. Le livre comporte une cinquantaine de recettes salées et sucrées à base de thé.
Accords Mets-thé par Kei Kobayashi
A l’occasion du lancement du livre, Chihiro a proposé à quelques journalistes de venir tester des accords mets-thés imaginés par elle-même et Kei, le chef du restaurant éponyme.
Cette formule a été conçue en pensant aux clients qui ne boivent pas d’alcool. Elle est proposée depuis le mois de décembre.
En cette fin d’automne, le chef a concocté quelques amuse-bouche de saison comme ce maki carotte-navet et sa mayonnaise d’agrumes servi avec un thé gyokuro dont l’umami évoque le kombu et le dashi. Un accord très subtil qui sublime les saveurs mieux que ne le ferait un vin…
Un sencha froid (servi dans un verre à vin !!) a été ensuite choisi pour accompagner une huître bretonne à la crème de raifort et l’assiette de légumes croquants, le plat signature de Kei. On se surprend à humer le thé comme s’il s’agissait d’un grand cru (ce qu’il est d’ailleurs puisqu’il vient de chez Jugetsudo !). On craignait que l’iode de l’huître ou l’acidité de la sauce des légumes l’emportent sur le thé mais c’est tout le contraire qui se passe : l’amertume du sencha semble avoir été neutralisée et l’on découvre toute la douceur du breuvage !
Chihiro n’a pas réussi à convaincre le chef de servir un thé avec la viande rouge (en l’occurrence du pigeon) car selon lui, le sang et le thé ne peuvent aller ensemble. Le sommelier nous propose donc de faire un break avec un koshu aux notes oxydatives (saké vieilli) mais dès qu’il a disparu, nous essayons en douce le hojicha (prévu pour le plat suivant) et découvrons que cela fonctionne à merveille !
Tout comme le genmaicha servi avec le dessert : une ganache au chocolat guanara absolument sublime…
Merci pour ce moment aurait-on envie de dire si la formule n’était par trop galvaudée…