Au Japon, les légumes sont présents à tous les repas, cuisinés avec un soin et un sens de l’esthétisme particuliers. Ils marquent également le passage des saisons
Les légumes sont la base de la cuisine japonaise », explique le docteur Takeo Koizumi, professeur honoraire à l’université d’Agriculture de Tokyo. « Les plats principaux de la cuisine traditionnelle contiennent des légumes-racines comme les radis et les patates douces, des légumes verts et des plantes sauvages au printemps, des champignons des montagnes en automne, ainsi que des haricots. »
La cuisine traditionnelle repose principalement sur les végétaux sauvages natifs, appelés poétiquement yama no sachi, « fruits de la montagne », ou plus prosaïquement sansai, « plantes de montagne », comme les pousses de bambou (takenoko), de renouée du Japon (itadori) ou les crosses de fougères (warabi). On les mange encore aujourd’hui à grande échelle. Souvent assez âpres et amers, ils doivent être bouillis longuement pour être consommés.
Les premiers légumes cultivés dans l’archipel sont issus de ces espèces sauvages ou sont venus du reste du continent asiatique au fil des siècles : racines de lotus (renkon), bardane (gobo), crucifères et haricots en tous genres, navets (kabu), carottes (ninjin), épinards (horenso)... Beaucoup de racines, rhizomes et légumes-feuilles ont été domestiqués depuis si longtemps par les Japonais qu’ils ont, à force de sélections et croisements, abouti à la création de variétés bien particulières. Les légumes-fruits, hormis les concombres (kyuri) et les aubergines (nasu), ont pour leur part longtemps été absents. Les épices eux non plus n’étaient pas courants, laissant le goût des légumes au premier plan. Certaines herbes et rhizomes ont toutefois très tôt joué un rôle aromatique délicat, comme le gingembre (shoga) ou le mizuna, une herbe proche de la roquette.
Toute la sagesse de la cuisine japonaise
Plus tard, à partir du 16e siècle, de nouveaux végétaux sont arrivés d’Europe ou du Nouveau Monde, comme les potirons (kabocha), les pommes de terre (jaga-imo) et les patates douces (satsuma-imo), qui ont d’ailleurs sauvé le Japon de la famine. Le maïs, les tomates, les laitues et les poivrons ont eux aussi trouvé leur place dans les cuisines japonaises, mais il ne faut pas s’y tromper : ce sont des apports très récents, et ils sont encore perçus comme des légumes « occidentaux ». Le chou cabus (kabetsu) a en revanche totalement été adopté : bien qu’il ne soit connu des Japonais que depuis le 19e siècle, c’est aujourd’hui l’un des légumes qu’ils consomment le plus, souvent sans connaître ses origines européennes.
Chacun de ces végétaux courants, qu’il soit traditionnel ou non, est associé à une saison et une région, deux éléments capitaux en cuisine au Japon. On sait par exemple en voyant à table de jeunes pousses de bambou que l’on est au printemps, alors que le concombre symbolise l’été. De même, un Japonais fera immédiatement une connexion mentale entre les patates douces et le sud de Kyushu, ou entre les pommes de terre et l’île d’Hokkaido. Au-delà du produit alimentaire, le légume est un marqueur de temps et d’espace, une manière de célébrer l’ici et maintenant. Comme le remarque le docteur Koizumi, « les légumes de saison qui sont les plus nourrissants et les plus savoureux sont utilisés judicieusement. C’est là toute la sagesse de la cuisine japonaise. »
L’art de couper les légumes
Si le Japon a à sa disposition une large palette de légumes, c’est surtout l’art de les préparer qui est remarquable. Règle numéro un : les légumes se mangent frais : la consommation de conserves est anecdotique, et les surgelés moins répandus que chez nous. Règle numéro 2 : avant de cuisiner un légume, il faut le tailler afin d’en tirer le meilleur parti. C’est un art capital au Japon, chaque forme ayant un sens : on coupe en demi-lunes (hangetsugiri), en feuilles de ginko (ichogiri), ou en feuilles de bambou (sasagaki) par exemple. Au-delà de l’aspect visuel, ces formes feront ressortir certaines textures, certaines saveurs, et seront idéales pour certains types de cuisson.
Il y a en effet de nombreuses manières de cuisiner les légumes au Japon. Certains sont appréciés crus, comme le daikon, d’autres en salaisons croquantes appelées tsukemono ; les épinards seront quant à eux très souvent servis en ohitashi, c’est-à-dire juste blanchis puis marinés dans une sauce à base de dashi, sauce soja et mirin. On fera généralement la bardane en kinpira : légèrement sautée, puis rapidement cuite à l’étouffée et dégustée froide ; le chou chinois est pour sa part indissociable du nabe, un plat d’hiver à partager composé de viande ou de poisson et de légumes cuits dans un bouillon. Les recettes aux légumes sont nombreuses et variées, de la tempura au yakitori, de l’oden au gyoza. Même les plats nippons considérés comme très riches et gras contiennent des légumes frais : c’est le cas par exemple de l’okonomiyaki, bourré de chou et de ciboule (negi), mais on retrouve aujourd’hui les légumes jusque dans les bonbons, les chewing-gums et les crèmes glacées...
Faire son marché au Japon
Kabetsu : Doux et tendre, aussi bon cru que cuit, c’est un légume récent au Japon – d’où son nom, transcription phonétique du mot français « caboche » utilisé pour désigner les choux cabus - mais il est vite devenu un produit du quotidien.
Ninjin : Les carottes japonaises sont souvent plus grosses que les nôtres, mais leur saveur est plus ou moins la même. Une variété ancienne de Kyoto fait son grand retour actuellement : la kintoki ninjin, plus longue, plus rouge et plus sucrée.
Daikon : Ce radis géant est le légume le plus consommé au Japon. Sa pointe est la partie la plus piquante, il s’adoucit en remontant vers les feuilles. On le voit souvent cru et râpé en accompagnement des sushi, mais il est également délicieux cuit ou saumuré.
Kabu : Il existe un grand nombre de variétés de navets au Japon, de toutes les tailles, formes et couleurs. Les plus courants ont une belle peau blanche bien lisse et une saveur proche du daikon, quoique plus douce.
Kabocha : le potimarron japonais se distingue de celui qu’on trouve en Europe par sa couleur (verte et non orange) et par un goût beaucoup plus dense. Il se consomme frit (en tempura par exemple) ou bouilli.
Satsuma-imo : La patate douce japonaise est associée à l’ancienne province de Satsuma, sur Kyushu, d’où son nom. Sa saveur est particulièrement douce et sa chair est dorée. On l’utilise surtout dans les préparations sucrées, mais on la mange aussi juste grillée avec la peau, ou frite en tempura.
Negi : La ciboule japonaise prend des formes très variées : certaines variétés sont d’une finesse extrême, d’autres sont plus proches du poireau. On l’utilisera, selon le cas, plus comme une herbe aromatique ou un légume à cuire.
Kyuri : Les concombres japonais sont bien plus fins et souvent plus épineux que les variétés européennes. Les graines sont petites et discrètes sous la dent. On les mange généralement crus ou saumurés, avec la peau.
Mame : C’est le terme générique pour toutes sortes de haricots. Les plus connus en France sont sans doute les edamame, qui se dégustent cuits à la vapeur et salés ; ils sont excellents en apéritif.
Takenoko : Les pousses de bambou peuvent être très fines ou massives selon les variétés ; elles sont indissociables des ramen, mais vont aussi très bien avec le riz. Attention toutefois à les faire bouillir longuement pour les débarrasser de leur amertume.
Renkon : Les racines de lotus se reconnaissent à leur forme qui offre un ravissant motif lorsqu’elles sont coupées en rondelles. On peut les manger frites ou mijotées ; à Kumamoto sur Kyushu, on se régale de karashi renkon, une racine de lotus fourrée de miso et de karashi (moutarde japonaise).
Gobo : Bien que naturellement présente en Europe, la bardane n’est pas consommée chez nous. C’est bien dommage car sa mâche particulière et sa saveur rappelant le salsifis ou le topinambour en font une racine de choix.
Mizuna : Cette herbe aux feuilles dentelées rappelle la roquette. On la mange crue en salade ou juste blanchie, mais elle a également sa place dans le nabe.
Kinoko : Les Japonais sont fous de champignons. Parmi leurs variétés favorites, on retrouve les célèbres shiitake, les shimeji, longs, fins et blancs, les pleurotes, appelés hiratake, ou les nameko, petits, ambrés et couverts d’un mucilage qui leur donne une consistance unique.■