Frais, en pâtisserie ou séché, le kaki est l’un des produits qu’on offre le plus, en fin d’année, dans tout le Japon. Encore peu consommé en France, il commence à faire son apparition en grande surface…
Par Camille Oger
Quand vient l’hiver, les maisons du Japon rural se parent de décorations d’un bel orangé : ce ne sont pas des boules de Noël mais des fruits que l’on pend aux toitures pour les faire sécher. Ces fruits hivernaux sont des kakis, issus du plaqueminier, un arbre incontournable au Japon. Comme l’écrivait le poète Matsuo Bashō au XVIIe siècle, « dans les villages anciens, il n’est pas une maison sans plaqueminier. »
Les kakis murissent dès le début du mois de novembre et remplissent les étals des marchés jusqu’à la fin de l’année. Cultivés au Japon depuis le VIIe siècle, il en existe de très nombreuses variétés de tailles, formes et saveurs différentes que l’on sépare en deux grandes catégories : les kakis astringents ou shibugaki et les kakis doux ou amagaki. Les kakis doux sont mangés mûrs comme des pommes ; on les pèle et les coupe en quartiers puis on savoure leur chair sucrée, légèrement glissante par endroits, plus fibreuse à d’autres. Parmi eux, les variétés les plus répandues sont les kakis Fuyu ou Fuyugaki, que l’on trouve parfois en France et qui ressemblent à de grosses tomates orange légèrement aplaties, et les kakis Jiro ou Jirogaki, plus côtelés.
Les kakis astringents sont quant à eux mangés plus tard, lorsqu’ils sont blets et prêts à éclater : leur peau s’affine et leur chair se liquéfie, on peut alors les ouvrir et les déguster à la petite cuiller, comme une sorte de confit naturel dont la saveur rappelle le miel. En France, la variété la plus connue de ce type est le kaki Muscat, très apprécié dans la région niçoise. Les plus prisés au Japon sont les kakis Hachiya, de très gros fruits particulièrement sucrés que l’on offrait tous les ans à la Cour impériale durant la période Heian (794-1185).
Le kaki n’est pas seulement dégusté tel quel : dans certaines régions, on le laisse geler pour en faire un sorbet naturel ; on peut aussi en faire du yōkan, une pâtisserie traditionnelle ressemblant à nos pâtes de fruits. Mais la star de l’hiver, c’est sans doute le kaki séché, appelé hoshigaki. Les familles suspendent traditionnellement les fruits au toit de leur maison en novembre et les laissent sécher dans l’air sec de l’hiver jusqu’en décembre pour pouvoir les conserver et pour les débarrasser de leur astringence. On le déguste encore légèrement moelleux, un peu comme nos figues et abricots mi secs, à la fin de l’année.
C’est d’ailleurs un cadeau typique du mois de décembre, produit à grande échelle dans certains villages de montagne. Dans la préfecture de Wakayama, on peut ainsi observer des guirlandes et rideaux de kakis séchant sur les versants inondés de lumière, le spectacle est magnifique. Certaines variétés, comme le Fuyugaki, sont suspendues par la tige à de simples ficelles ; mais la spécialité de cette région, ce sont les kushigaki, des kakis que l’on fait sécher sur des tiges en bambou. Ils sont d’abord pelés puis transpercés à l’aide d’une longue baguette plate sur laquelle ils resteront jusqu’au terme du séchage, soit quatre à six semaines.
Lorsque les kakis séchés sont prêts, ils ont perdu plus de la moitié de leur volume et réservent un concentré de saveur et de douceur. On les mange généralement tels quels, éventuellement coupés en tranches. Leur surface s’est fripée ; elle est légèrement coriace et renferme une chair encore moelleuse, très dense et sucrée qui ne manque pas de caractère pour autant : comme le raisin, le kaki est un fruit riche en tannins qui lui donnent un côté légèrement corsé.
Ce qui a fait la popularité de ce produit à travers les siècles n’est pas seulement sa saveur agréable et unique : c’était, il y a encore peu de temps, l’un des seuls édulcorants disponibles au Japon, car le sucre a longtemps été introuvable dans l’Archipel. En séchant, le sucre du kaki remonte à la surface du fruit et lui donne un bel aspect poudré ressemblant à du givre ; ce sucre était autrefois récolté en frottant délicatement les fruits séchés, puis utilisé en cuisine. Le fruit cru pouvait lui aussi adoucir certaines préparations, mais le sucre de kaki séché, c’était du pur fructose en poudre aux usages bien plus variés.
Si vous visitez le Japon à la fin de l’année, ne passez donc pas à côté des spécialités de kaki sans les goûter : ce sont les bonbons de l’hiver, des saveurs japonaises à découvrir absolument. On peut tout de même en avoir un petit aperçu en France car le kaki séché est indissociable des célébrations du Nouvel An chinois. Vous en trouverez en provenance dans de nombreuses épiceries asiatiques. Sans oublier les délicieux kakis frais, déjà disponibles en grande surface ou sur les marchés...■