Tsukemono, l'étonnante variété des pickles à la japonaise

Les tsukemono ? J’en mange tous les jours », explique Yuhki, restaurateur à Hiroshima. Ces petites choses macérées – du japonais zuke, « macérer » et mono, « chose » - font en effet partie du quotidien au Japon. « Comme beaucoup de Japonais, nous les préparons en famille, à la maison. Nous utilisons du chou, des carottes, des concombres ; n’importe quel légume peut faire l’affaire, on s’adapte selon la saison et les arrivages. » En fait, si tous les légumes s’y prêtent, le champ des tsukemono est encore plus vaste et couvre les racines, les œufs, certains fruits, les viandes, les poissons, toutes sortes de produits de la mer et même des fleurs. Loin d’être monotone, cette tradition culinaire offre des possibilités infinies, aux formes, couleurs et saveurs variées.

Inventés par nécessité, conservés par goût

À l’origine des tsukemono, il y a une nécessité : la conservation. Dans les temps anciens, avant la réfrigération moderne, conserver les aliments n’était pas chose aisée. Chaque produit avait sa saison, souvent courte ; pendant quelques semaines, on disposait d’aliments en abondance pour en manquer le reste de l’année. Toutes les cultures du monde ont mis au point des procédés plus ou moins complexes pour allonger la période de consommation des viandes, poissons, fruits et légumes : salage, fumage, séchage, fermentation etc. Au Japon, les techniques de conservation par macération auraient vu le jour il y a 1500 ans, d’après des écrits du VIIIème siècle. C’est de là que sont nés les tsukemono, les pickles japonais. Comme nos cornichons, câpres et olives en salaison, ils ont été inventés par nécessité, mais ils sont restés par goût.

Un goût immédiatement visible au Japon, car les tsukemono sont omniprésents. Tiges de wasabi à Shizuoka, daikon et kombu à Hokkaidô, papaye verte à Okinawa, chaque région y va de sa spécialité et de ses recettes. Pourtant, on pourrait tout à fait se passer de ces pickles de nos jours, la plupart des produits frais étant disponibles toute l’année dans les supermarchés. Mais ces ravissantes salaisons apportent quelque chose de bien particulier aux repas japonais. Elles ont un effet esthétique immédiat, et des saveurs qui se marient à la perfection avec certains plats. Le tsukemono relève une recette fade ou éteint le feu d’une préparation épicée, donne une note d’acidité aux mets gras, adoucit les goûts salés. C’est une touche de couleur et de matière, un élément vif qui croque sous la dent et a sa place au sein de tous les menus, même les plus simples.

Plus de 4000 sortes de tsukemono

Du petit-déjeuner au dîner, des foyers les plus modestes aux plus aisés, les tsukemono se retrouvent sur toutes les tables, en petites portions souvent placées dans un récipient dédié. De simples accompagnements, ils sont devenus un élément essentiel du régime japonais, aussi important que le riz ou la soupe miso. « À la maison, explique Yuhki, les tsukemono sont toujours à disposition, dans leur pot ; quand je rentre du travail affamé, mon premier réflexe est de me servir un grand bol de riz couvert de tsukemono. Pas besoin d’en faire plus : c’est un réconfort sain et un vrai plaisir. » L’anthropologue Michael Ashkenazi confirme cette place fondamentale des pickles au Japon : « Il suffit d’un bol de riz agrémenté de tsukemono et d’une soupe pour passer de la simple nourriture à la vraie cuisine. »

Il en existerait aujourd’hui plus de 4000 sortes, élaborées grâce à une centaine de méthodes artisanales. Du gari, le gingembre mariné qui accompagne les sushi, à l’umeboshi, la petite prune salée, en passant par le takuan, le long radis d’un beau jaune vif qui garnit certains makizushi, le point commun de toutes ces « choses macérées » c’est le sel. Celui-ci va en effet permettre d’évacuer l’eau des légumes, viandes ou poissons que l’on cherche à conserver. Traditionnellement, on place ces produits enduits de sel dans un pot en terre cuite et on exerce sur eux une forte pression à l’aide d’une lourde pierre durant plusieurs heures à plusieurs jours. Sous l’effet du sel et du poids, l’eau s’échappe, évitant aux produits de pourrir. On peut ensuite disposer des aliments ayant ainsi dégorgé.

Le sel, un élément fondamental

Les tsukemono les plus simples seront faits ainsi. On les appelle shiozuke, littéralement « macérés dans le sel ». De nos jours, les shiozuke sont généralement réalisés à l’aide de petites presses très pratiques. Les outils diffèrent, mais le résultat est le même : on obtient des tsukemono croquants de longue conservation en un temps record. Parmi eux, les plus célèbres sont l’umeboshi, la fameuse prune salée, et l’ikura no shiozuke, les œufs de saumon salés. Cette méthode est aussi appliquée à certaines fleurs, comme les sakura, les fleurs de cerisier, dont on fera ensuite des infusions.

Si l’usage du sel est une technique de fabrication de tsukemono en soi, on peut également réaliser une véritable macération à l’aide de vinaigre de riz, de lie de sake, de miso ou de son de riz, entre autres. Chacun de ces ingrédients produit une réaction chimique qui va modifier la consistance et la saveur du produit conservé. Selon les méthodes, les processus naturels à l’œuvre durant cette opération sont la fermentation ou la lacto-fermentation.

La macération dans le miso, la pâte de graines de soja fermentée, se prête très bien aux légumes et aux poissons comme la sardine ou le maquereau. Il n’est pas toujours nécessaire de les faire dessaler auparavant, car le miso en lui-même est déjà riche en sel. On ajoutera simplement un peu de sake au miso, et les tsukemono obtenus sont appelés misozuke, « macérés dans le miso ». C’est l’une des techniques de conservation les plus anciennes au Japon. Contrairement à la méthode simple du sel, la technique du miso demande du temps, parfois plusieurs mois à plusieurs années, car le processus de fermentation est très lent.

Au son de riz, au vinaigre ou à la sauce soja

Une technique assez similaire consiste à placer des aliments dans un mélange humide de son de riz et de sel. Pour activer la fermentation, on peut ajouter de la bière, du gingembre ou des épluchures de pommes : il faut que ce lit de son de riz prenne vie pour que la magie opère. Tout ce qui est comestible ou presque peut se prêter à ce type de macération : légumes, poissons, viandes, qui sont utilisés entiers. Ces tsukemono, appelés nukazuke, « macérés dans le son de riz », sont ensuite rincés à l’eau claire et coupés en fines tranches ou petits morceaux.

Parmi les méthodes les plus courantes, on trouvera également la macération dans le vinaigre de riz. Ces tsukemono faciles à réaliser, appelés suzuke, ne se conservent que peu de temps, car le vinaigre japonais est peu acide. L’un des suzuke les plus connus est le gari, le gingembre rose que l’on déguste entre deux sushi pour se rincer le palais. Les tsukemono à base de sauce soja ou shoyuzuke sont eux aussi populaires et présentent une immense variété de consistances : on aura des pickles croquants et frais marinant dans une sauce claire et légère, et d’autres bien plus corsés et salés, couverts d’une sauce foncée et épaisse. Enfin, les kasuzuke, qui ont passé plusieurs jours à plusieurs années dans une mixture de lie de sake, de sel, de sucre et de mirin, se conserveront très longtemps et garderont une saveur légèrement alcoolisée et plus ou moins douce selon le temps de macération.

Quels que soient les moyens utilisés pour les préparer, les tsukemono offrent un résultat qui parle aux yeux et au palais. Ils sont légers, peu caloriques et pleins de vitamines. Enfin, ils renferment des bactéries favorables à la digestion. Selon leur saveur plus ou moins sucrée ou acide, plus ou moins salée, corsée ou pimentée, ils trouvent une place particulière au sein des menus quotidiens. Largement disponibles en France, dans les épiceries asiatiques, ils sont également faciles à préparer soi-même, il n’y a donc pas de raison de s’en priver. En fonction de leur couleur et de leur forme, on peut jouer à les reconnaître au restaurant japonais ; au-delà des variétés les plus courantes, la diversité des tsukemono apportera une touche ludique à vos repas et vous réservera bien des surprises.

Quelques incontournables

Takuan

Le takuan ou takuanzuke est un tsukemono de daikon, le gros radis blanc japonais. Le daikon est d’abord séché, puis macéré dans le son de riz. Selon les régions, on pourra ajouter à la recette des œufs de poisson, des algues, du piment... Il a une belle couleur jaune vif, due à l’ajout de curcuma, et une saveur sucrée. C’est l’un des tsukemono les plus courants et les plus versatiles. Il a sa place dans la plupart des menus à base de riz et se présente souvent coupé en demi-lunes.

Umeboshi

L’umeboshi, on l’aime ou on la déteste. Cette petite prune qui orne souvent le riz dans les bentō n’est pas toujours du goût des Occidentaux en raison de sa saveur extrêmement aigre et salée. Sa couleur rouge est obtenue grâce à des feuilles de shiso. On la trouve au Japon sous sa forme séchée (umeboshi), pâle et fripée, ou non-séchée (umezuke). Elle apporte du relief aux plats fades et peut aussi – fait rare – se suffire à elle-même.

Beni shôga

Généralement associé aux gyudon (bols de riz au bœuf) ou aux ramen (soupes de nouilles), le beni shōga est un tsukemono de gingembre qui se marie très bien avec les viandes et les plats assez gras ou lourds comme les yakisoba (nouilles sautées). Le gingembre est taillé en allumettes et macéré dans l’umezu, la saumure résiduelle obtenue en préparant l’umeboshi. Il y gagne une couleur rouge et une saveur à la fois acide et sucrée.

Gari

C’est sans doute le tsukemono le plus connu hors du Japon. Indissociable des sushi et sashimi, il se compose de gingembre frais tranché en fines lamelles et conservé dans du vinaigre de riz sucré. Il prend une teinte légèrement rose naturellement, mais sa couleur est souvent forcée à l’aide de colorants. Le gari est le compagnon idéal du poisson cru grâce à ses propriétés antiseptiques. On considère également qu’il « rince » le palais et permet d’apprécier distinctement les différentes saveurs d’un plateau de sushi.

 

Takanazuke

Moins connu en France, le takanazuke est réalisé à partir de feuilles de moutarde chinoise séchées puis salées. Les tsukemono obtenus sont très croquants et rafraichissants. On y ajoute parfois du piment rouge pour un résultat épicé. C’est une garniture classique des ramen d’Hakata, dont le riche bouillon à base de porc appelle une note relevée.

Ko-nasuzuke

Ces minuscules aubergines macérées brièvement présentent des couleurs étonnantes, du noir au bleu vif en passant parfois par des zones d’un blanc pur. Leur saveur complexe mêle des notes acidulées et corsées. Pour les novices, ce type de tsukemono a quelque chose d’austère. Au Japon, les ko-nasuzuke sont très courantes et souvent préparées à la maison.

Fukujinzuke

Le fukujinsuke est réalisé à partir d’un mélange de légumes : on y trouve généralement de la racine de lotus, du daikon, de l’aubergine et du concombre macérés dans une solution épaisse et sucrée à base de sauce soja. Souvent agrémenté de graines de sésame, le résultat présente une couleur brune, mais il sera rouge à violet s’il est coloré à l’aide de feuilles de shiso. Très populaire à Tokyo au XIXème siècle, ce type de tsukemono est aujourd’hui consommé dans tout le pays. Il accompagne à merveille les currys japonais.

Kyuri no nukazuke

Le concombre (kyūri) est l’un des légumes favoris au Japon. On en fait toutes sortes de tsukemono en l’utilisant seul ou avec d’autres produits, comme les aubergines ou les carottes. L’une des recettes les plus appréciées est le kyūri no nukazuke, le concombre conservé dans le son de riz, mais il est également fréquent de le trouver simplement dessalé ou rapidement macéré dans du vinaigre sucré. C’est, dans tous les cas, un délice de fraîcheur et l’un des tsukemono les plus croquants.

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